Face au nouveau gouvernement, la CFDT joue cartes sur table

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© Eric Tschaen/RÉA

iconeExtrait de l’hebdo n°3826

Les rencontres bilatérales se sont multipliées ces derniers jours. L’occasion d’échanger sur la méthode de dialogue souhaitée par les partenaires sociaux et, pour la CFDT, de présenter son cahier revendicatif reprenant l’ensemble de ses propositions.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 31/05/2022 à 14h02

 

Pas le temps de traîner. À peine dévoilée la composition du nouveau gouvernement, les principaux ministères ont enchaîné les rendez-vous. Les 23 et 24 mai, Matignon, Bercy et la rue de Grenelle ont tour à tour reçu les numéros un des organisations syndicales et patronales1.

1. L’école et la santé ayant été érigés en chantiers prioritaires, le Sgen-CFDT et la CFDT-Fonctions publiques ont échangé avec leur ministre de tutelle.

L’objectif est clair : effectuer une première prise de contact et suggérer que la méthode verticale de l’exercice du pouvoir, tant décriée par les corps intermédiaires, appartient désormais au passé. Avec les partenaires sociaux, la Première ministre, Élisabeth Borne, a évoqué « les sujets de contexte, de méthode et de calendrier pour permettre de fixer un cadre commun à notre action », avant de réunir son gouvernement afin de « définir les feuilles de route des différents ministres et partager la méthode gouvernementale ».

Le gouvernement le sait : la moindre étincelle risque d’embraser des foyers de colère. Le contexte est tel que, quel que soit le sujet abordé, la méthode choisie sera déterminante. D’autant que les dossiers chauds s’accumulent : aux préoccupations sociales sur le pouvoir d’achat et l’emploi, qui appellent des solutions rapides, s’ajoutent désormais des défis structurels relatifs au travail, à la transition écologique ou à l’Europe – qui demandent une réponse collective, insiste la CFDT. « Relever ces défis ensemble nécessite d’abord d’innover sur la méthode afin que les décisions ne soient pas imposées d’en haut », écrit-elle en préambule du copieux cahier revendicatif remis le 24 mai à Olivier Dussopt, le nouveau ministre du Travail, du Plein-emploi et de l’Insertion. « La CFDT appelle à une véritable logique de co-construction des politiques publiques avec les acteurs concernés [et à] dépasser les crispations et les intérêts particuliers pour offrir à chacun un projet collectif porteur de progrès social. »

 

Pouvoir d’achat, le nerf de la guerre

En tout état de cause, le pouvoir d’achat fait figure d’urgence absolue, les lois d’urgence ayant été inscrites en première page de l’agenda parlementaire (lire l’encadré). Coincé entre la hausse de l’inflation et les conséquences de la guerre en Ukraine, le gouvernement d’Élisabeth Borne sait que ses marges de manœuvre sont étroites et accueille de fait positivement la proposition CFDT d’un rendez-vous au sujet du pouvoir d’achat et du partage de la valeur, rendez-vous qui devrait avoir lieu en amont de la présentation du projet de loi.

Mais la centrale de Laurent Berger va plus loin et demande des réponses structurelles. « S’il est de la responsabilité première des employeurs de rémunérer décemment le travail […] l’État dispose de leviers d’incitation, voire de contrainte sur les entreprises et les branches », peut-on lire dans le dossier transmis au ministre du Travail. Aussi souhaite-t-elle reconstruire une dynamique de négociation structurelle, assortie d’une obligation de rendez-vous salarial dans les trois mois suivant la revalorisation du Smic pour les branches dont les minima sont inférieurs au salaire minimum et d’une suspension des exonérations de cotisations sociales pour les branches se trouvant « en dehors des clous ». Un juste partage de la valeur dans les entreprises sous-entend également d’interdire le versement de dividendes en l’absence de participation ou d’intéressement pour les salariés et de fixer, par la loi, un rapport maximal de 1 à 20 entre les plus hautes et les plus basses rémunérations de l’entreprise ou du groupe1.

1. Un rapport de 1 à 253 est actuellement enregistré pour les entreprises du CAC 40 (source Oxfam)…

Travailler tous, travailler mieux

Bien que « rétrogradé » par les Français dans l’ordre des priorités, l’emploi demeure un sujet tout aussi prégnant en ce début de quinquennat. Contrairement à ce que suggérait, il y a quelques mois encore, le Président candidat, « notre pays est encore loin du plein-emploi », assure la CFDT, tant les problématiques structurelles du chômage n’ont pas disparu. Aussi, afin de mieux anticiper et accompagner les mutations (qu’elles soient économiques, technologiques ou écologiques), la CFDT préconise la création d’une « assurance transition emploi » avec des droits universels attachés à la personne. « L’idée est d’aboutir à un dispositif global capable de s’adapter aux besoins d’emploi et de formation [en] articulant les dispositifs existants d’accompagnement [et] en coordonnant les organismes qui les portent », assure Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Les discussions portant sur la transformation de Pôle emploi en un guichet unique d’accès à l’emploi baptisé France Travail (et suggérant une fusion des différents acteurs) devraient d’ailleurs commencer rapidement, même si aucun calendrier n’a pour l’heure filtré.

 

Le temps, une nouvelle conquête sociale ?

 « Au-delà du coup d’arrêt brutal de la vie économique, la crise sanitaire est venue questionner largement le sens du travail et son organisation, dont on voit bien aujourd’hui qu’elle ne peut plus relever de la seule prérogative de l’employeur », poursuit la centrale syndicale. Tirant les conclusions de la crise Covid (et de la capacité des partenaires sociaux à construire des solutions ensemble), la CFDT estime que le temps est venu de faire de l’organisation du travail un sujet de négociation obligatoire – conformément à l’ANI santé au travail de décembre 20201 – et de démocratiser davantage le télétravail par la mise en place de tiers lieux ou d’un chèque bureau négocié dans l’entreprise.

1. Il acte que les travailleurs doivent pouvoir être impliqués dans les évolutions d’organisation qui touchent leur travail.
 

« Négocier l’organisation du travail, c’est aussi revoir la possibilité de gérer son temps de travail pour le concilier avec ses autres temps de vie », poursuit Marylise Léon. Dans cette optique, la CFDT propose un nouveau droit à la maîtrise de son temps sous la forme d’un Cetu (compte épargne-temps universel). « Inspiré des CET existants, le Cetu est accessible à tous, quel que soit son statut, la taille de son entreprise, son secteur d’activité ou la nature de son contrat de travail », précise le cahier revendicatif. Attaché lui aussi à la personne, il est transférable d’un emploi à l’autre et devra être abondé par l’employeur de cinq jours par an au minimum pour devenir ce nouveau droit à la main du travailleur, ce qui doit lui permettre de retrouver la maîtrise de son temps. Plus largement, les évolutions du travail sont telles qu’elles nécessitent selon la CFDT d’y réfléchir collectivement en convoquant des Assises du travail. Une première réponse pourrait être donnée au début juillet, avec l’organisation d’une grande conférence sociale visant à définir une méthode de travail et de dialogue. La Première ministre l’a confirmé. Mais la CFDT jugera sur pièces.

 
 

Un projet de loi prévu après les législatives

Le calendrier se précise. Selon la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, le projet de loi sur le pouvoir d’achat sera présenté le 29 juin en Conseil des ministres puis soumis au Parlement dans la foulée. « La Première ministre et le président de la République, avec les ministres, vont s’exprimer sur les contours, l’esprit, sur ce qu’il y aurait dans ce texte, avant très certainement le second tour des élections législatives. Mais ce texte sera présenté en Conseil des ministres quelques jours après les législatives et arrivera ensuite au Parlement », a-t-elle déclaré. « C’est un projet de loi très lourd, avec le chèque alimentaire, le bouclier tarifaire, le triplement de la prime Macron, avec les dispositifs de participation, d’intéressement, de dividende salarié. »

Côté salaires, la porte-parole du gouvernement a voulu souligner qu’il faut continuer de discuter avec les entreprises, car « ce n’est pas l’État qui augmente les salaires ». Mais l’exécutif pourrait être contraint, sous la pression des syndicats et de la société civile, de pousser les branches professionnelles à revaloriser leurs minima conventionnels. Depuis le 1er mai et l’augmentation automatique du Smic liée à l’inflation, 147 branches ont au moins un coefficient en dessous du salaire minimum.

Fabrice Dedieu

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Les propositions de la CFDT au gouvernement Borne pdf

1 juin 2022 |

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