Laurent Berger : « Monsieur le président, vous ne pourrez pas relever ces défis tout seul »

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Le secrétaire général de la CFDT exhorte Emmanuel Macron à entendre les voix de ceux qui ont voté pour lui sans le soutenir. Et lui demande de convoquer un « grand rendez-vous social » pour associer le plus grand nombre à ses décisions.

Tribune publiée dans Le journal Le Monde le 26 avril 2022 à 12h42, mis à jour à 12h49 Temps de Lecture 5 min.

Dès l’annonce des résultats du premier tour, la CFDT a appelé à voter pour Emmanuel Macron. Non par adhésion mais par raison. L’extrême droite n’a jamais été et ne sera jamais une option pour nous.

La réélection du président lui donne la légitimité du pouvoir. Il la doit à ses partisans. Et aussi à l’esprit de responsabilité de nombreux électeurs qui ne partagent pas son programme mais rejettent par-dessus tout le Rassemblement national et tout ce qu’il représente. Ils lui ont donné leurs votes mais pas leurs voix. M. Macron doit maintenant les écouter.

Ces voix, ce sont celles d’une société fatiguée. Une société qui croit malheureusement de moins en moins à la démocratie et à l’efficacité de l’action publique. La défiance, l’absence de perspectives face aux défis posés par la mondialisation et la nécessaire transition écologique, le sentiment d’abandon d’une partie de la population ne peuvent pas rester sans réponse. Il faut de la considération, de l’écoute, du respect. Le président doit prendre cette situation en compte. Et il doit le faire maintenant !

Si nous avons une responsabilité collective pour trouver les réponses à ces défis, il a la responsabilité d’apaiser, de réparer, de rassembler le pays.

Cela ne se fera pas sans un cap clair vers un nouveau modèle de développement plaçant le progrès social, la justice, le respect de l’environnement et le « vivre-ensemble » au cœur des solutions. Un cap clair qui refonde notre pacte social, le rend plus adapté au XXIe siècle en répondant aux besoins de protection et d’émancipation des travailleurs.

Construire ce nouvel équilibre entre performance économique, justice sociale et transition écologique est la seule voie possible. En l’accompagnant d’une revitalisation démocratique conjuguant démocratie représentative, démocratie citoyenne et démocratie sociale, nous le pensons réalisable. Emmanuel Macron y est-il prêt ?

Va-t-il se recroqueviller sur la certitude de quelques-uns, comme cela a trop souvent été le cas ces cinq dernières années ? Ou va-t-il enfin ouvrir des espaces de dialogue pour donner goût au pouvoir d’agir ensemble du national au local ? Les attentes sociales et citoyennes sont trop fortes pour être traitées avec mépris ou indifférence. Notre rôle, c’est de l’alerter aujourd’hui sur les risques qu’entraînerait la reproduction des méthodes d’hier.

Une société juste et durable

Il doit écouter ces voix. Les écouter réclamer de pouvoir vivre dignement de leur travail en rééquilibrant une répartition de la richesse qui penche beaucoup trop du côté du capital. Les écouter exiger un investissement massif dans une transition écologique juste, qui prenne à bras-le-corps le futur de notre planète sans laisser personne sur le bord de la route. Ecouter ces travailleurs du privé et du public, essentiels à notre société et qui pourtant reçoivent des salaires beaucoup trop faibles. Ecouter leur volonté d’exercer un métier qui émancipe, qui préserve leur santé. Ecouter leur revendication pour plus de pouvoirs dans les entreprises ou les administrations pour influencer les décisions qui les concernent. Ecouter le souhait exprimé d’un système des retraites plus juste sans nouveau report de l’âge légal de départ – solution simpliste et inutile – qui pénaliserait les travailleurs les plus fragiles. Ecouter l’appel des jeunes à pouvoir vivre dans une société qui leur donne les moyens de leur émancipation et leur place dans nos choix collectifs. Ecouter le cri silencieux des plus pauvres qui veulent être respectés, accompagnés et pas stigmatisés… C’est ainsi que le président mettra en mouvement toutes les énergies disponibles pour combattre ce qui mine notre société : le recul du commun, l’accentuation des inégalités et l’absence de projection dans une société juste et durable.

Lutter contre les inégalités, c’est repenser une fiscalité plus équitable dans la répartition des efforts entre ménages riches et ménages modestes, entre travail et capital. C’est renforcer des services publics qui ont montré toute leur utilité et leur pertinence durant la crise sanitaire. Ils ont trop longtemps été considérés comme des centres de coûts, selon une seule logique comptable. Résultat, certains ont semblé découvrir ces derniers mois un service de santé au bord de la saturation, un système éducatif sous-doté, un secteur du travail social en pleine crise, une justice pénalisée par la faiblesse des moyens mis en œuvre… Ce n’est pourtant pas faute d’avoir alerté sur ces situations depuis de nombreuses années. Il en est de même pour la protection sociale, trop souvent regardée à travers le prisme des « charges » qu’elle ferait peser sur l’économie et qui s’est révélée si précieuse depuis mars 2020. Sans ces deux piliers de notre solidarité, sans l’investissement des agents, comment aurions-nous traversé cette période ?

Toutes ses propositions et revendications, la CFDT, premier syndicat de France, les construit sur la base du vécu des 600 000 adhérents présents dans tous les secteurs professionnels et sur tous les territoires. Elles sont en prise directe avec leur quotidien, réfléchies, délibérées, décidées collectivement. Bien d’autres émanent du collectif le Pacte du pouvoir de vivre et de la société civile organisée.

Gouvernance archaïque

Monsieur le président, vous ne pourrez pas relever ces défis tout seul. Convoquez dès aujourd’hui une rencontre avec les partenaires sociaux et les grandes associations. Appelez-la comme vous voulez (conférence, Grenelle, convention…), mais lancez dès maintenant ce grand rendez-vous social pour changer de méthode et associer le plus grand nombre à la coconstruction des décisions.

Les travailleurs en ont assez des ordonnances, des lois et des décrets imposés d’en haut. Combien de fois au cours du dernier quinquennat avons-nous dénoncé une méthode qui consistait à attendre le « 20 heures » d’une chaîne de télévision pour connaître le contenu d’une décision ? Cette gouvernance verticale est archaïque. Elle ne répond en rien aux aspirations de citoyens qui réclament plus d’association aux décisions qui les touchent en premier. Ils vous l’ont suffisamment fait savoir au cours du dernier mandat. Ils l’ont également exprimé par leurs votes.

Vous devez davantage écouter et entendre les acteurs prêts à sortir des postures et à s’engager. Vous n’en êtes pas le seul responsable, mais notre système démocratique a trop longtemps boité, se reposant sur le politique tout en négligeant les corps intermédiaires, dont le dernier accord prouve leur capacité à construire ensemble. Reconnaissez-les ! Il ne peut pas y avoir de démocratie sans démocratie sociale.

La CFDT ne lâchera pas. Soyez en sûr : elle sera présente tout au long du quinquennat qui s’ouvre pour porter les aspirations et les revendications des travailleurs par la méthode qu’elle privilégie, le dialogue. Ne l’obligez pas, monsieur le président, à les exprimer par tout autre moyen qu’un exercice bloqué du pouvoir imposerait. Notre appel est ferme mais constructif : entendez-le !


Laurent Berger est secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

26 avril 2022 |

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